Analyse: les scientifiques discutent les conclusions clés du rapport 1,5°C du GIEC

Rosamund Pearce

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié cette semaine un rapport spécial sur un « réchauffement planétaire de 1,5°C ».

Ce document résume ce que la science la plus récente nous dit des impacts d’une telle hausse de la température mondiale, ainsi que des moyens de l’éviter.

Carbon Brief a demandé à des scientifiques officiant dans différentes disciplines de commenter ce qu’ils estiment être les principales conclusions du rapport.

Image (note)Dr Katharine Hayhoe
Directrice
Centre des Sciences du Climat, 
Université Texas Tech

Jusqu’à présent, les rapports d’évaluation du GIEC ont principalement mesuré les impacts associés à une trajectoire ou à un scénario donné. Toutefois, les objectifs climatiques ne sont pas exprimés en termes de scénarios, mais plutôt d’objectifs de stabilisation, lesquels ont été formulés pour la première fois dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992. Ces objectifs sont exprimés en termes de budgets carbone, de concentrations ou d’évolution de la température moyenne mondiale.

Ceci a conduit à un décalage entre la façon dont les sciences du climat mesurent les impacts et la façon dont les décideurs politiques identifient les objectifs. Mais pour établir un objectif efficace, nous devons comprendre les conséquences associées à un éventail d’objectifs possibles – et non de scénarios.

C’est pourquoi ce rapport est si important : parce qu’il expose, en termes clairs et sans équivoque, les risques auxquels nous sommes confrontés. Pas selon des scénarios hypothétiques qui ne se réaliseront jamais, mais selon des objectifs bien réels d’un réchauffement de 1,5°C et plus qui restent à notre portée, si nous tenons compte de cet avertissement urgent.

 

Image (note)Prof Michael Oppenheimer
Professeur de géosciences et d’affaires internationales
Université de Princeton

Les décideurs politiques ne devraient pas imaginer qu’ils peuvent se relaxer et attendre qu’une technologie mythique aspirant le CO2 de l’atmosphère devienne opérationnelle et abordable, car celle-ci pourrait bien ne jamais exister. Ils doivent s’atteler dès maintenant à résoudre le problème, en mettant en place, dans un premier temps, toutes les incitations à une transition aussi rapide que possible des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, et d’économies laxistes dans leur gestion de l’énergie vers des économies hautement efficientes.

Dans un second temps, les décideurs politiques doivent faire en sorte que la transformation sociale qui doit accompagner cette transition énergétique – une vie plus “compacte”, une consommation moins élevée de biens inutiles – puisse être réalisée, grâce à des incitations, comme un prix du carbone, de sorte que les gens veuillent la mener. Si tous ces éléments sont présents, nous n’aurons pas besoin de technologies mythiques.

Embedded component (note)

 

Image - Prof Terry Hughes (note)Prof Terry Hughes
Directeur
Conseil de recherche australien (ARC), Centre d’excellence pour l’étude des récifs coralliens, Université James Cook

Les récifs coralliens – et les populations qui en dépendent – ont été identifiés par le GIEC comme particulièrement vulnérables au changement climatique. Le climat s’est réchauffé de 1°C depuis le début de l’ère industrielle, et les émissions actuelles nous amèneront à 1,5°C d’ici une à trois décennies.

Nos recherches montrent que le réchauffement a déjà causé d’énormes dégâts sur les récifs coralliens. Par exemple, en 2016 et 2017, près de la moitié des coraux de la Grande Barrière de corail ont blanchi et sont morts à la suite de vagues de chaleur record. Le rapport du GIEC prévoit qu’un réchauffement de 2C détruira pratiquement tous les récifs coralliens de la planète.

Il n’y a qu’une seule façon d’arrêter le blanchiment des coraux à l’échelle régionale ou mondiale, c’est de s’attaquer à la cause profonde, à savoir le réchauffement climatique. Si nous parvenons à atteindre l’objectif 1,5°C de l’Accord de Paris, nous aurons encore des récifs coralliens à l’avenir – mais ils seront assez différents des récifs d’hier ou d’aujourd’hui. Les espèces les plus sensibles à la chaleur diminueront tandis que d’autres s’adapteront.

Comme seule gardienne de la Grande Barrière de corail, l’Australie a une responsabilité particulière et devrait montrer l’exemple en matière de transition énergétique. Malheureusement, ses émissions continuent d’augmenter et ne sont pas en ligne avec les engagements de l’Accord de Paris.

 

Image - Dr Friederike Otto (note)Dr Friederike Otto
Directrice par intérim
Institut des changements environnementaux, Université d’Oxford

Ce rapport a souligné une fois de plus que le changement climatique se manifeste non seulement par l’élévation du niveau de la mer, mais aussi par les événements météorologiques extrêmes. Et que, pour les risques associés à ce type d’évènements à fort impact, un demi-degré supplémentaire de réchauffement constitue une différence énorme. Pour les gens qui sont déjà marginalisés, cela peut être une question de vie ou de mort.

Ce qui est crucial, c’est que nous ne sommes pas condamnés. Nous pouvons limiter le réchauffement climatique. Quant à la façon dont nous le ferons, c’est une question de justice et d’équité.

 

Image - Prof Sabine Fuss (note)Prof Sabine Fuss
Directrice du groupe de travail sur “la gestion durable des ressources et le changement global“
Institut de recherche Mercator sur le patrimoine commun et le changement climatique

La principale conclusion du rapport dans mon domaine de recherche est que toutes les trajectoires 1,5°C évaluées, même celles impliquant d’énormes efforts de réduction des émissions, font appel à des technologies d’élimination du carbone de l’atmosphère (acronyme anglais CDR)– de l’ordre de quelques centaines de milliards de tonnes d’ici 2100 pour la plupart.

Même si l’amplification, à ce niveau, de la bioénergie avec capture et stockage de carbone (acronyme anglais BECCS) ou du reboisement peuvent susciter des préoccupations en matière de soutenabilité, le rapport évalue également d’autres méthodes pour éliminer le CO2 de l’atmosphère. Cela montre qu’un éventail de méthodes déployées à plus petite échelle pourrait permettre d’éliminer du carbone, tout en réduisant les risques pour la soutenabilité.

 

Image - Prof Helen Fricker (note)Prof Helen Fricker
Glaciologue
Institut Scripps d’océanographie, Université de Californie, San Diego

Les résultats du nouveau rapport ne me surprennent pas du tout. J’ai étudié les calottes glaciaires depuis 25 ans, presque la moitié de ma vie. Les changements que nous constatons aujourd’hui sont bien plus importants que ceux que nous aurions pensé voir de notre vivant.

Il est temps d’être sérieux sur la réduction des émissions de carbone, et de cesser de donner des tribunes au climatosceptiques. Ils ont suffisamment brouillé le sujet avec leur rhétorique trompeuse et nuisible.

 

Image - Prof Kristie Ebi (note)Prof Kristie Ebi
Professeur de sciences pour la santé et pour la santé de l’environnement
Université de Washington

Le rapport formule de nombreux enseignement cruciaux, comme par exemple le fait que le changement climatique affecte déjà les populations et leur santé – les pauvres et les défavorisés étant les plus touchés. Selon les prévisions, chaque unité supplémentaire de réchauffement augmentera les impacts en termes de santé si des efforts supplémentaires d’adaptation et d’atténuation ne sont pas déployés.

Les risques anticipés pour un réchauffement de 1,5°C sont plus élevés que ceux constatés aujourd’hui, et le seront plus encore à 2C, à quelques exceptions près. Voici les principaux domaines dans lesquels la littérature était suffisante pour établir des constatations sur l’augmentation des risques, avec un niveau de confiance au minimum moyen : la sous-alimentation, la mortalité liée à la chaleur, la mortalité liée à l’ozone, le paludisme et la dengue. Incorporer l’adaptation dans les projections des modèles réduit les risques attendus, ce qui souligne l’importance d’y investir pour accroître la résilience des systèmes de santé.

Limiter le réchauffement à 1,5°C est possible, et nécessiterait des transitions sans précédent. En même temps, bon nombre des politiques et des technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre seraient bénéfiques pour la santé humaine, dès maintenant. Le rapport estime que l’ampleur de ces bénéfices devrait compenser la majeure partie, sinon la totalité, des coûts liés à l’atténuation.

Les communautés et les nations ne vont pas s’adapter à ces différents impacts sanitaires séparément – mais bien à la combinaison de ces impacts. Les choix de développement influenceront fortement l’exposition et la vulnérabilité des communautés et des régions au changement climatique.

 

Image (note)Dr Céline Guivarch
Chercheuse senior
Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement

Le rapport exprime très fortement le message selon lequel les émissions nettes mondiales de CO2 doivent être ramenées à zéro vers 2050 pour suivre des trajectoires compatibles avec l’objectif 1,5°C, et guère plus tard pour les trajectoires 2°C. Cela nous montre clairement qu’il faut agir à toutes les échelles afin d’inverser rapidement la tendance des émissions, actuellement orientée à la hausse.

 

Image - Dr Bill Hare (note)Dr Bill Hare
Directeur
Climate Analytics

Je pense que le message central est que 1,5°C représente déjà un réchauffement trop élevé, et que nous devons rester sous ce seuil pour conserver une planète habitable. Deuxièmement, les scientifiques montrent que l’objectif de 1,5°C peut vraiment être atteint. Nous pouvons le faire – nous avons la technologie, nous avons les capacités. Ce qu’il nous faut, ce sont des décisions politiques des gouvernements pour enclencher et accélérer toutes les transformations qui sont nécessaires pour nous mettre sur la voie de 1,5°C.

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Image - Dr Emily Shuckburgh (note)Dr Emily Shuckburgh
Directrice adjointe, océans polaires
Centre de recherche britannique sur l’Antarctique

Le fait que le niveau de la mer continuera d’augmenter même si les températures se stabilisent met en péril, sur le long terme, les centaines de millions de personnes qui vivent près des côtes, même dans certains des scénarios les plus optimistes. Un coup d’œil sur une carte des mégalopoles mondiales fait clairement ressortir la menace. Un rapport récent (pdf) de la Banque d’Angleterre a souligné les risques posés par l’élévation du niveau des océans, et averti que les pertes, assurées ou non assurées, découlant de tels risques peuvent affecter l’ensemble du système financier, des compagnies d’assurances aux banques de détail.

Il est essentiel d’atteindre rapidement des émissions nettes nulles pour minimiser l’élévation du niveau de la mer. Une publication récente, par exemple, a souligné l’importance des mesures d’atténuation à court terme pour limiter les risques d’élévation du niveau de la mer à long terme. Cette étude a conclu que chaque décalage d’une durée de cinq ans sur les émissions de CO2, à court terme, augmente d’environ 0,2 mètre l’estimation médiane de l’élévation du niveau de la mer en 2300, et de jusqu’à un mètre l’estimation extrême.

On estime qu’une augmentation de la température de l’ordre de 1,5°C à 2°C pourrait menacer les vastes calottes glaciaires couvrant le Groenland et l’ouest de l’Antarctique. La perte de l’une ou l’autre de ces calottes entraînerait une élévation du niveau des océans de plusieurs mètres, transformant de façon catastrophique les côtes mondiales.

Un vaste programme de recherche a récemment été lancé au Royaume-Uni et aux États-Unis pour étudier le glacier Thwaites – un élément clé de la calotte glaciaire de l’Ouest de l’Antarctique. On estime que ce seul glacier est responsable d’environ 5 % de l’élévation actuelle du niveau de la mer. Comprendre comment il réagira à un réchauffement atmosphérique et océanique accru est essentiel pour fournir des évaluations solides de l’élévation future du niveau de la mer. Une bonne stratégie de gestion des risques attribuerait une priorité élevée à la reconnaissance et à la prise en compte de ce type d’impacts peu probables mais potentiellement catastrophiques.

 

Image - Prof Jan Minx (note)Prof Jan Minx
Directeur du groupe de travail “sciences appliquées au développement durable”
Institut de recherche Mercator sur le patrimoine commun et le changement climatique

Éliminer le dioxyde de carbone de l’atmosphère (CDR) est une nécessité pour maintenir le réchauffement climatique sous 1,5°C. C’est un message sans ambiguïté du nouveau rapport du GIEC. Même avec le plus ambitieux programme de réduction des émissions – qui apparaît bien éloigné des réalités politiques et de ce que les pays sont aujourd’hui prêts à faire pour éviter un dérèglement climatique dangereux – nous aurons besoin d’aspirer des milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère pendant la seconde moitié du XXIe siècle – de manière permanente et vérifiable. En conséquence, le message fort est le suivant : nous devons être bons dans les deux domaines – la réduction des émissions et le CDR. Si les deux sont contradictoires, comme certains le prétendent, nous ne pourrons pas emprunter les trajectoires les plus sûres pour protéger le climat.

Accélérer notre apprentissage sur le CDR est crucial. Tout d’abord, nous devons considérer le déploiement de plusieurs technologies, car un bouquet varié peut nous aider à couvrir les risques d’effets secondaires liés à l’échelle de leur mise en œuvre. Mais nous devons aussi étudier leurs interactions, car elles sont en concurrence pour les ressources en bioénergie, les terres ou les espaces de stockage. Deuxièmement, nous avons besoin de modèles d’innovation accélérés. Les options « high-tech » comme le captage direct dans l’air ou la bioénergie avec captage et stockage du carbone présentent le potentiel le plus important, à long terme, d’élimination du CO2 de façon sûre et vérifiable. Mais elles sont encore loin d’être matures, du point de vue commercial ou même technologique.

60 ans se sont écoulés entre la première utilisation commerciale du photovoltaïque sur le satellite Vanguard-1 et l’utilisation généralisée de l’énergie solaire que nous connaissons aujourd’hui. Si les options technologiques de CDR suivent un calendrier similaire, il sera trop tard pour arrêter le réchauffement planétaire. Il est donc crucial d’accélérer le processus d’innovation et de diffusion de ces technologies.

Traduction de « In-depth: Scientists discuss key findings of the IPCC’s special report on 1.5C » par Benjamin Jullien.

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